De l’écoute à l’expérience

La vie quotidienne est méditation. C'est fondamentalement une qualité d'être et d'expérience immédiate de l'instant présent, un état de présence ouverte.

 

Le propos essentiel de la pratique du Dharma, la voie du Bouddha, consiste à éveiller son esprit. L'outil qui permet de le faire est la pratique méditative. C'est le chemin qui conduit l'esprit dans son état fondamental : l'Eveil. La méditation assise est le début de l'apprentissage. Elle consiste d'abord en l'harmonisation du corps et de l'esprit : en s'asseyant dans une posture droite et détendue. L'esprit de la méditation est une ouverture lucide et stable, un état libre de toutes contraintes et fixations. Dans la méditation, il ne s'agit aucunement de se couper du monde ni de se replier sur soi, pas plus que de faire des efforts pour fabriquer un état de méditation particulier. Il ne s'agit pas non plus de se protéger ni de s'enfermer dans un état qui exclurait les stimulations extérieures : visuelles, auditives, ou autres - mais au contraire d'accepter la réalité en laissant se dissoudre d'elle même la frontière intérieur-extérieur, en lâchant toute saisie et fixation. Méditer est s'ouvrir à l'espace de la situation qui nous entoure.

Dans la méditation, nous acceptons d'être exposé, de nous ouvrir, d'être nu. L'ouverture que nous y vivons intègre l'agitation et ses remous intérieurs ou extérieurs. Ce n'est pas essayer d'imposer le calme à notre esprit, de maîtriser son agitation, mais d'apprendre à nous détendre, à laisser tomber et à laisser être. L'attitude fondamentale de la méditation est non agressive ; elle est même la pratique essentielle de la non-violence, consistant à abandonner la lutte avec toute forme d'altérité. Nous apprenons à ne pas répondre aux pensées et émotions, et à cesser de réagir en luttant pour conformer les situations, tant intérieures qu'extérieures, à notre vouloir égotique. C'est un non-agir de l'ego : nous acceptons simplement ce qui est, en laissant être. L'abandon de la lutte permet d'accéder naturellement à un état de repos. C'est la pratique de samatha (en sanscrit) ou chiné (en tibétain), terme qui signifie littéralement "rester tranquille" ; c'est laisser l'esprit en paix. Dans cette tranquillité, la lucidité qui comprend la nature de l'expérience, de ce que je suis, est vipashyana (en sanscrit) ou lhagtong (en tibétain) ; c'est "voir clairement" la nature de la réalité.

Attention et conscience dégagée

Plus précisément, l'esprit de la méditation a deux attitudes : l'attention et la conscience dégagée. L'attention est un état vigile, de pleine vigilance, qui permet de voir les choses simplement et précisément. L'attention n'est pas la concentration; c'est même un état de décentralisation, de détente, ou d'absence de fixation sur des objets extérieurs, sans saisie des expériences sensorielles ou des pensées intérieures. C'est une qualité de présence lucide dans laquelle les sens sont alertes avec un esprit clair et vigilant. La conscience dégagée est l'attitude de l'esprit qui n'est pas obnubilé, fixé sur quoi que ce soit de particulier ; c'est une qualité d'expérience globale, spacieuse, un champ de conscience large et dégagé, ouvert sur l'environnement total. Ce dégagement vient dans la mesure même où nous ne sommes pas pris, fasciné par les découvertes de l'attention, où l'esprit reste sans fixation. L'attention est lucidité, acuité de l'expérience ; la conscience dégagée est l'ouverture de l'esprit. Ces deux aspects se révèlent finalement ensemble comme deux facettes d'un même état d'esprit-expérience.

Vacances et plénitude

Pratiquement, lorsque nous nous asseyons pour méditer, nous laissons notre esprit au repos, relâchant tensions et fixations dans l'attention et la conscience dégagée. C'est un état de lucidité ouverte. En nous laissant ainsi aller, nous découvrons un état de transparence, nous nous laissons en quelque sorte nous dissoudre ; bien que lucide, nous sommes alors absent. Nous laissons tomber nos points de repères et nos références habituels ; nous lâchons prise, nous nous laissons partir, nous "partons en vacance". L'expression " en vacance " signifie ici que nous sommes vacant, vide de nous-même, absent ; nous ne sommes plus là pour répondre et réagir aux pensées habituelles. Nous sommes vide de soi et plein d'une expérience totale. Cette lucidité ouverte est une "présence d'absence".

La méditation en action

Les deux qualités de la méditation assise - l'attention et la conscience dégagée - se transposent dans l'action. L'attention est la présence à la situation, et la conscience dégagée est l'absence de fixation sur celle-ci. Nous sommes alors pleinement présent, au cœur de l'action, dans une attitude ouverte et dégagée. Cette expérience de présence attentive et de conscience dégagée, qui a été découverte et stabilisée dans la méditation assise, est intégrée dans les situations de la vie active par le "rappel". Le rappel est la pratique régulière et constante du retour à cette expérience. "Pris" par le déroulement de l'action, nous perdons constamment l'état de présence dégagée. Le rappel nous y ramène régulièrement. C'est un moment d'ouverture, de lâcher-prise, qui nous immerge pleinement dans la dynamique de la situation et nous permet de nous harmoniser avec elle. Puis, nous continuons, composant avec l'énergie qui lui est propre, jusqu'à ce qu'un autre rappel, un nouvel instant de lucidité et d'ouverture nous ramène à la présence dégagée et à son expérience immédiate. La pratique se développe en pointillés, d'un rappel au suivant. Sa continuité s'établit progressivement par la suc-cession des rappels qui, rares au début, deviennent de plus en plus fréquents et rapprochés. Méditation et vie quotidienne Dans cette perspective, la vie quotidienne est méditation. Il s'agit de se libérer de l'attitude qui conçoit la méditation comme dépendante de conditions particulières. C'est fondamentalement une qualité d'être et d'expérience immédiate de l'instant présent, un état de présence ouverte. La pratique méditative est un travail avec le quotidien tel qu'il est. Elle nous permet de faire l'expérience ouverte de chaque événement, directement. Si nous abordons les situations de la vie quotidienne très simplement, les problèmes ne sont pas particulièrement épineux. L'attitude méditative consiste à traiter ainsi toutes les situations, au-delà de toutes les complications que l'on a tendance à leur surimposer. Cette attitude directe et simple est profondément intrépide : elle nous demande d'aller au-delà de nos peurs, de dépasser nos réticences, nos inhibitions, nos blocages, nos défenses, ainsi que tous nos a priori et préconceptions. Notre recherche habituelle de maîtrise ou de sécurisation vient d'un manque de confiance, d'une peur d'être submergé par la situation, de ne plus être capable de la traiter convenablement. La relation directe est intrépide car elle nous fait plonger complètement dans la situation C'est à ce point que nous découvrons la possibilité d'une réponse immédiate et spontanée. La per-fection de l'action d'un bodhisattva (sanscrit) un " héros d'éveil ", se réalise dans l'état de présence au-delà de l'ego. Le bodhisattva n'est ni coupé du monde ni éthéré ; c'est au contraire une personne vraie, capable d'une relation immédiate et authentique avec la réalité, alliant la solidité de la terre à l'ouverture de l'espace.

Avertissement


La méditation se pratique progressivement dans la relation à un guide qualifié celui-ci donne une instruc-tion et le pratiquant lui rapporte son expérience ; le guide peut la corriger et donner des instructions ultérieures. C'est la façon d'éviter l'auto-illusion des "ego-didactes" !


o Lama Denys*

*Paroles extraites d'enseignements de Lama Denys lors de sessions à l'Institut Karma Ling, en Savoie.

Source : Bouddhisme Actualités

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