L'Art de spiritualiser son travail professionnel

 

Travailler est une activité inhérente à la vie de tous les jours. Mais combien s'épanouissent-ils vraiment dans leur activité professionnelle ? Tarthang Tulkou, maître bouddhiste Nyingmapa estime que le travail est le fondement même de toute pratique spirituelle.

Lors d'un récent colloque à Cannes, consacré à la vision bouddhiste dans la gestion des entreprises, Lama Jigmé Rinpotché avait insisté sur le fait que les gens travaillent pour vivre mais que leur démarche est essentiellement orientée vers un mieux-être fondé sur des besoins, de plus en plus importants, d'acquisition matérielles. Or, les surcharges de travail, en dépit des loisirs, n'apportent pas les satisfactions tant convoitées. Les déprimes passagère, les amertumes, les contrariétés, les soucis liés à la peur de perdre ou de manquer de quelque chose, fabriquent insidieusement une société de névrosés. La plupart des gens travaillent avant tout pour gagner de l'argent. Bien sûr, le travail répond à d'autres besoins : l'identité personnelle, l'approbation d'autrui, un sentiment de puissance et de maîtrise, l'interaction sociale, et la simple satisfaction d'être affairé. « Nous travaillons pour réaliser des buts particuliers, mais nous trouvons rarement de valeur dans l'activité même du travail », précise Tarthang Tulkou.

Cette façon de travailler est extrêmement appauvrissante. Quand nous travaillons sans bonne volonté réelle, le travail n'est pas très gratifiant. Nous devons nous forcer pour faire ce que nous faisons, et ce conflit intérieur épuise notre esprit et notre mental, engourdissant nos sens et nous privant de plaisir dans les autres domaines de notre existence. Travaillant avec répugnance, nous sommes bien sûr inefficaces, et notre travail tend à emprunter la direction de la médiocrité et de l'échec, au lieu de celle de l'excellence et de la réussite.

Même si nous travaillons pour une cause à laquelle nous croyons, cette structure demeure. Nous pouvons travailler avec plus d'énergie et d'engagement, mais nous ne sommes pas attentifs à l'activité même du travail, tendus que nous sommes vers les seuls résultats. Nous considérons rarement que le travail même pourrait être une chance d'apprendre quelque chose de fondamental au sujet de nous-mêmes, une occasion de montrer de la compassion aux autres, d'être heureux par exemple.

Pour nous, il va de soi que nous travaillons pour notre profit, mais en fait, nous ne semblons pas très compétents dans la satisfaction de nos besoins. Nous avons adopté un style de vie dans lequel la plus grande partie de notre temps est vouée à une activité que nous ne trouvons que partiellement gratifiante. Nous cherchons la satisfaction véritable en dehors du travail, mettant notre vie en suspens pendant que nous accomplissons notre tâche professionnelle. Cherchant le bonheur dans les marges de notre vie, nous finissons par entretenir ces éléments négatifs, en tant qu'accoutumance et échappatoire. Le travail peut nous donner des formes temporaires de gratification pour notre ego, mais il y a une autre partie, plus profonde, de nous mêmes, que nous ne nourrissons pas. Il n'est pas étonnant que beaucoup de gens aient le sentiment que quelque chose est déséquilibré dans leur vie.

Dans cette société, il y a aussi d'autres choix relatifs au monde du travail. Même si peu de gens de nos jours s'éloignent complètement du monde du travail, il y en a toujours quelques-uns qui se consacrent à une voie plus spirituelle, liée à la religion, à l'art, au service, ou à la recherche de la connaissance. Rejetant les recherches matérielles et le monde pratique des affaires, ils cherchent une gratification qu'ils considèrent comme liée plus étroitement à la signification fondamentale de l'existence humaine.

La séparation entre ces deux modes de vie a été considérée pendant longtemps comme allant de soi, mais dans le monde contemporain, une telle division n'est plus possible. Les hiérarchies strictes et les croyances communes qui la soutenaient dans le passé sont en train de disparaître et, le plus souvent, ont déjà disparu. Les communautés spirituelles et les individus ne peuvent se permettre de quitter les affaires mondaines pour d'autres affaires, car elles ne peuvent plus compter sur le soutien de toute une société. La plupart des personnes travaillant dans le monde ne tirent pas non plus leur subsistance des efforts de ceux qui pourvoient aux intérêts spirituels, car le sentiment d'une profonde connexion entre le monde spirituel et le monde matériel fait défaut.

La pratique intérieure du travail

Le lien organique entre le travail et les valeurs spirituelles devient plus clair dès que nous nous interrogeons sur ce que les gens attendent vraiment de la vie. A ce point fondamental, il y a réellement une petite différence entre le monde des affaires et le monde spirituel. Les gens veulent être heureux, accomplir quelque chose de valable dans leur vie, et vivre d'une façon saine et équilibrée. Le langage utilisé pour décrire les buts mondains et les desseins spirituels peut être très différent, mais cette connexion fondamentale est effective.

Les moyens de réalisation de ces buts sont aussi étroitement apparentés. Le bonheur et la capacité de réaliser quelque chose de valable dépendent de la capacité du mental. Si nous ne savons pas éduquer, nourrir et discipliner ces facultés innées, nous ne pouvons pas réaliser grand-chose dans le monde spirituel ni dans le monde des affaires.

Par exemple, le pouvoir de la prière dépend de la capacité à concentrer son esprit. Pour développer cette capacité, nous devons apprendre la contemplation, aller profondément dans un sentiment ou une image ou un centre d'intérêt, sans nous appuyer sur les mots et les raisons. Cette même compétence, sous un nom différent, est également essentielle à la réussite en affaires.

Une fois que nous avons reconnu ces ressemblances, nous voyons que rien n'empêche le travail d'être une voie de connaissance. L'étude du mental a traditionnellement été le domaine réservé d'une petite minorité dans la société, mais à notre époque «démocratique », nous pouvons considérer cela d'une manière très différente. Nous tous, êtres humains, visons le même but; nous pouvons tous diriger nos efforts vers l'obtention de la connaissance, chacun selon sa propre voie. Quand le travail devient une voie de réalisation, nos actions deviennent significatives d'instant en instant. Nous nous débarrassons de la sensation paralysante de ce que le temps passé à tra­vailler est du temps soustrait à nos intérêts véritables, et nous reprenons le contrôle d'une moitié de notre vie. Maintenant, nous pouvons vraiment nous chercher. Au lieu de nous installer dans la déception et la frustration, nous pouvons nous mettre au service de nos intérêts les plus précieux dans tout ce que nous faisons. En même temps, nous disposons le tra­vail de base pour une véri­table transformation de la nature du travail même sans perdre la réussite de vue, nous apprenons à travailler d'une façon plus humaine, plus gratifiante, et plus coopérante. Nous apprenons à travailler en harmonie avec nos intérêts les plus profonds, à respecter l'environnement qui nous abrite et nous nourrit, et à pourvoir aux besoins des autres.

Les leçons que nous donne le travail ont trait à nos erreurs et à nos échecs, mais elles peuvent être les leçons les plus importantes. Peut-être que ce que nous voyons, c'est la façon dont nous nous trompons nous-mêmes en travaillant : les excuses et la paresse, la tension et les soucis, l'effondrement et la procrasrination. Si c'est le cas, nous pouvons tirer un immense profit de nos expériences. Conscients de ce que nous faisons, nous pouvons émettre l'intention de changer et d'acquérir la discipline pour ce faire. Le travail devient alors notre sauvegarde, permettant notre transformation - le moyen grâce auquel nous pouvons améliorer notre façon de penser, nos attitudes, nos relations, et nos actions.

Grâce au travail, nous pouvons éprouver immédiatement l'efficacité des changements opérés. Nous pouvons voir ce qui marche et ce qui ne fonctionne pas, et nous pouvons mettre en pratique tout ce qui produit le meilleur résultat. En même temps, nous apprenons le pouvoir d'une attitude, d'une perspective positives. Où trouver meilleur apprentissage ?

Le travail a une valeur pour chaque aspect de l'être humain. Grâce à notre travail, nous pouvons inviter un mode de vie gorgé de richesse et de santé, fondé sur une abondance d'attention, de concentration et d'énergie. La richesse qui vient grâce à cette façon d'être, bannit à jamais la pensée que nos vies sont appauvries. Quelles que soient les circonstances qui nous entourent, les conditions qui nous échoient, nous sommes prêts à aller de l'avant, allant avec constance vers la plénitude.

• Tarthang Tulkou

 

 


 

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