Le Bouddhisme au Tibet

 

On dit du Tibet, « Peu » en tibétain, qu'il est le toit du monde. Nous autres tibétains l'appelions le « Pays des Neiges », ou encore « Pays entouré d'une barrière de montagnes enneigées ». Notre pays est en effet logé derrière cette barrière de montagnes aux neiges éternelles, tel un écrin qui permet d'illustrer les deux aspects de notre culture : à l'intérieur de cet écrin, notre culture commune est comme un océan de lait très pur au milieu duquel siège, tel un joyau, notre culture non-commune qu'est la religion.

La religion au Tibet


Historiquement, deux grandes traditions spirituelles se sont développées au Tibet : le « beunpo » et le boud-dhisme. Avant le septième siècle, la première était la plus répandue. Depuis cette époque et jusqu'à nos jours, c'est la tradition bouddhiste qui est devenue prépondérante, sans pour autant que le beunpo ne se soit totalement éteint.

Il est difficile de déterminer précisément comment le beunpo s'est développé chez nous, et ce qu'il était avant le septième siècle. Sur un plan historique, on ne peut d'ailleurs pas non plus établir avec précision l'histoire des rois tibétains avant cette période, ni même les us et coutumes du Tibet : on dispose en fait de plusieurs récits, qui demeurent imprécis. La raison en est certainement qu'alors l'écriture n'était pas encore en usage, et les témoignages dont on dispose sont essentiellement oraux. Encore que certains historiens affirment qu'une écriture tibétaine existait avant le septième siècle, dans la région de Chang-Choung. Quoi qu'il en soit, on peut affirmer que la tradition écrite commence au septième siècle, permettant la propagation de la religion, de la médecine, l'astrologie...

Le bouddhisme au Tibet

Pour les Tibétains, la qualité de la pensée constitue le fondement même de la spiritualité. Selon la rectitude de la façon de diriger ses pensées, la « voie » mentale qui s'ensuivra sera elle aussi correcte ou non. La racine du Dharma dépend donc tout d'abord de la motivation. C'est sur la base d'une bonne motivation que la pratique permettra le mûrissement de résultats bénéfiques. Si la motivation est noire, il est dit que l'on ne pourra pas engendrer de résultats blancs. Cette motivation consiste principalement à produire avec force des pensées d'amour, de bienveillance,... vis-à-vis d'autrui. Les pratiquants tibétains du bouddhisme considèrent cela comme fondamental.

Le tempérament tibétain se caractérise par la douceur, la non-agressivité, et cela est une des conséquences de la pratique de la bonne motivation. Au Tibet, il était d'usage que les enfants manifestent du respect vis-à-vis de leurs parents, ainsi que les jeunes à l'égard des aînés et, plus particuliè-rement encore, à rencontre de toute personne possédant des connaissances, des qualités. Les pratiquants se demandaient : « ai-je produit une bonne motivation ? »

Ce que l'on appelle Dharma fut traduit en tibétain à partir de la « langue excellente », le sanscrit. Le terme « Dharma » peut être envisagé de différentes façons : selon l'ouvrage de Vasoubandhou, on retient dix acceptions différentes. Citons à titre d'exemples : « ce qui est établi en détenant sa propre nature », le sens « saisi-détenu », « ce qui est saisi au-delà de la souffrance » (éliminer la souffrance), « ce qui est saisi au-delà des existences conditionnées » (la libération).

Au Tibet, selon la tradition spirituelle bouddhiste, on peut aller « à la mai-son de la déité » (temple) pour y pratiquer entre autres les prosternations, les offrandes, les invocations-requêtes. On peut aussi y étudier la philosophie, les sciences cachées (les paramita, le madhyamika, l'abhidharma, la discipline), les trois Instructions, mais aussi pour y consulter les Textes complets des soutras et des tantras. Dans bien des collèges de grands monastères, on peut exécuter des rituels et s'adonner à la méditation, mais pas seulement car cela ne sera réellement possible que si, aupa-ravant, on s'est amplement exercé à l'étude et à la réflexion ? C'est la raison pour laquelle on y étudie autant.

La diffusion du bouddhisme remonte à l'époque du trente-troisième roi du Tibet, Songtsène Gampo (617-650 ap. J.-C. ; différentes datations sont avancées, comme pour la majeure partie de la dynastie royale du Tibet, dont on situe l'origine au roi Nyari Tsè-nepo, au deuxième siècle av. J.-C.).

Songtsène Gampo est le roi dont l'activité fut la plus vaste. Il introduisit l'écriture et c'est sous son règne que la population devint bouddhiste. Il légiféra aussi bien au plan religieux que laïc, développa la médecine, l'astrologie, et les arts culturels («so-wa »). En outre, il renforça et organisa l'armée, élargit les frontières du pays. C'est à lui que l'on doit l'arrivée au Tibet de deux représentations du Bouddha (« Djo-O »), l'une du Népal et l'autre de Chine, qu'il fit installer dans les deux temples principaux de Lhassa en 641. Elles furent, et sont les plus vénérées du Tibet.

Depuis Songtsène Gampo jusqu'au milieu du neuvième siècle, régna une lignée familiale de neuf rois. Le neuvième, Langdhanna (803-846), détruisit le bouddhisme qui s'était développé jusqu'alors.

La transmission du Dharma qu'il détruisit fut dénommée « diffusion antérieure » lorsque par la suite on l'enseigna et pratiqua à nouveau, par opposition à la « diffusion ultérieure ». Au sein de la lignée royale, Songtsène Gampo, Trisong Détsène (718-785) et Trirèl Patchène (806-841) sont appelés par les Tibétains les trois rois religieux, en reconnaissance de leur activité sur le plan religieux.

Pour Trisong Détsène, on retient prin-cipalement son influence pour faire venir de l'Inde les Abbés Shantaraksita et Padmasambhava. Il fit également construire le grand temple de Samyé. Auprès de Shantarakshita, sept personnes, dont Baselnang, prirent les vœux monastiques. Ils furent les sept premiers moines tibétains. A partir de là, peu à peu, le nombre de monastères se développa beaucoup. De nom-breux traités de philosophie et tantras furent alors traduits du sanskrit en tibétain : c'est ainsi que fut fondée la tradition de l'étude, de l'enseignement, et l'activité en faveur du Dharma fut décuplée.

Le roi Trirèl Patchène invita, entre autres, le Pandit indien Dzina Mitra. De nombreux Lotsawa traduisirent beaucoup de « Paroles » du Bouddha, et de commentaires qui n'étaient encore connus qu'en sanscrit. Ces traductions avaient en fait déjà commencé du temps de Songtsène Gampo, mais c'est à partir de Bouteune Rinpoché (1290-1364) que les Paroles du Bouddha furent regroupées dans le Kang-Gyour, qui compte un peu plus de 100 volumes, et les Commentaires indiens des Paroles, qui composent les 218 volumes du Teng-Gyour. Les Tibétains ont ainsi créé une manière extraordinairement originale de réunir les Enseignements et Commentaires.

.Le roi Langdharma succéda au roi Trirèl Patchène. Il était hostile au boud-dhisme et le détruisit par la force. Tout l'enseignement diffusé depuis Songtsène Gampo fut aboli.

Les Anciens et les Nouveaux

On désigne comme tantras « anciens » ceux qui furent traduits avant le grand traducteur Rintchène Sangpo (958-1055). Par contre ceux qui le furent postérieurement sont qualifiés de « nouveaux ». Et ceux qui suivent principalement les tantras anciens sont appelés les Nyingmapa (les anciens), les autres les Sarmapa (les nouveaux). Durant son séjour au Tibet, Padmasambhava eut de nombreux disciples, dont Vairotsana, et nombre d'entre eux obtinrent une éminente érudition et de grandes réalisations spirituelles. Mais cela concerne la diffusion antérieure : ainsi la raison pour laquelle on les appelle « les anciens » ne correspond pas à l'histoire des « anciens » car c'est avec la deuxième diffusion que l'on commence à parler d'anciens et de nouveaux. Il n'y a pas d'autre raison pour qualifier Vairotsana et ses suivants d'anciens.

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Au sujet de l'histoire des grands érudits-réalisés Nyingmapas, on peut citer Nyangrèl Nyima Eu Sèr (1127-1192), Gourou Tcheu-Ouang (1212-1273), Ngari Peutchène Péma Ouang Gyèl (1487-1543), Tchangdag Trachi Top Gyèl (1540-1578). Il y en eut beaucoup d'autres. Notons, dans cette tradition Nyingmapa, l'importance des Terteune (découvreurs de trésors) pour lesquels on dispose de récits détaillés. Les grands monastères Nyingmapa les plus célèbres sont : dans la région du centre, Dordjé Trag et Mintreul Ling ; dans la région méridionale : Ka Tog, Dzog Tchène et Sé Tchène.

Quant aux « nouveaux », les Kadampa, Kagyupa, Sakyapa, Chitchépa et Djonangpa, ils connurent un essor considérable. La lignée Kagyupa commence à partir de Marpa Lotsawa. Elle se subdivise en les lignées Changpa-Kagyu et Dagpo-Kagyu. Cette dernière se décompose en plusieurs branches : les karma-kagyu, les pag-trou-kagyu, les tsèloua-kagyu, les barom-kagyu, les yasang-kagyu, et les trobou-kagyu (d'autres classifications existent).

Par contre, les Kadampa, Sakyapa, Chitcépa et Djonangpa ne se subdivisent pas comme les Kagyu. La lignée Kadampa comporte deux branches : les anciens Kadampa, depuis Atisha (982-1054) jusqu'à Djé Tsongkhapa (1357-1419), et les nouveaux Kadampa à partir de Djé Tsongkhapa jusqu'à nos jours. Aujourd'hui les premiers sont connus sous le nom de kadampa, et les derniers sous celui de Gélougpa.

Le Grand Djé Tsongkhapa se fonda sur la tradition de la lignée du maître Atisha et composa beaucoup de traités concernant les instructions profondes des tantras. On appelle « nouveaux Kadampa », ou Gélougpa, ceux qui perpétuent cette façon de pratiquer.

On voit donc que la manière de distinguer anciens et nouveaux est différente. L'histoire des Nyngmapa, Sakyapa, Kadampa et Kagyupa est très abondante, et de nombreux manuels permettent de faire des recherches très détaillées.

L'enseignement des anciennes et nouvelles diffusions

Au Tibet, quand on parle de la façon dont le Dharma a été diffusé, on l'en-visage selon les deux diffusions : l'ancienne et la nouvelle. La datation du début de la nouvelle diffusion est l'objet de controverses, mais on peut attribuer son impulsion à Latchène Gonpa Rapsel (952-1035) : depuis cette époque jusqu'à nos jours, on parle de deuxième diffusion.

A partir de 1959, la Chine communiste détruisit l'enseignement au Tibet et, actuellement, grâce à la bienveillance de Sa Sainteté le Dalaï-Lama, on assiste à une troisième diffusion hors du Tibet. Dans le futur, je pense que l'histoire en retiendra l'importance majeure.

Les Monastères tibétains

Avant 1959, le Tibet comptait un grand nombre de monastères de toutes tailles. Y vivaient des moines et nonnes qui s'adonnaient à des activités qui n'étaient pas connues de l'extérieur. En général, les religieux accomplissaient quotidiennement leurs pratiques personnelles de prosternations et rituels variés. Mais ils s'adonnaient surtout à la méditation, et, plus particulièrement, s'exerçaient amplement à l'étude et à la réflexion au moyen d'entraîne-ments et d'efforts très difficiles, dans les classes d'enseignement et de débats de philosophie. La raison en était que pour se mettre à la pratique de façon effective, il est nécessaire de parachever la compréhension de ce qui est à pratiquer.

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La base de l'Enseignement bouddhiste est extrêmement vaste et profonde. On doit intégrer tout à la fois la théorie bouddhique, la connaissance de l'esprit et le raisonnement logique si on veut réellement comprendre le sens du Dharma. C'est pourquoi il est important d'étudier correctement les principes fondamentaux de la philosophie bouddhique. Pour cela, dans les trois monastères de Séra, Drépoung et Ganden, ainsi que dans celui du Tashilhumpo, on étudie profondément et extensivement les cinq grands traités et les tantras.

L'enseignement et le débat philosophique constituent les clés des cent portes qui ouvrent sur le sens profond du Dharma. C'est au monastère de Sampou, fondé en 1073 par Ngo-glègpé Shérab, disciple d'Atisha, que fut créée la première classe de philosophie du Tibet. Ngoglègpé Shérab et son disciple Lodène Shérap (1059-1109) traduisirent de nombreux textes et établirent les classes d'étude et de débat. Il s'agit là d'un monastère kadampa. A partir de celui-ci, les Sakyapa développèrent aussi la philosophie depuis leur monastère de Sakya. Cependant ils déclinèrent petit à petit, et ce furent ensuite les gélougpa qui maintinrent intactes les classes de philosophie.

Aujourd'hui, les trois monastères de Séra, Drépoung et Ganden ont été reconstitués en Inde du sud. Les moines qui y résident maintiennent toujours les traditions de l'étude et de la pratique des Enseignements du Bouddha.

YONDEN GYATSO
TRADUCTION DE GILBERT BUESO


 

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