Lama Tenpa, Retraitant à perpétuité

Pourquoi choisir ce mois-ci l'interview de Lama Tenpa comme enseignement ?
Tous simplement pour la raison qu'il n'y a pas de plus enseignement que celui qui est de s'inspirer de la vie
des grands Maîtres pour pratiquer nous même.

Après 12 ans de retraite en Haute-Loire, vers Bas-en-Basset, Lama Tenpa s'est octroyé quelques mois de détente pour donner quelques enseignements avant de reprendre, dans le sud-ouest de la France, ses activités de moine-ermite et de s'en-gager, à nouveau, dans une longue période de pratiques méditatives.

Il est probablement l'un des lamas tibétains les moins connus de France, mais il ne s'en plaint pas. Lama Tenpa a été maître de méditation à Kagyu Ling, au Temples des mille Bouddhas, en Bourgogne, avant d'entrer en retraite perpétuelle. Récemment sorti de sa "thébaïde" en Haute-Loire, il a donné quelques enseignements avant de poursuivre, pour une durée indéterminée, une nouvelle retraite, mais cette fois dans le département des Landes. " Mon corps com-mence à craindre un peu les rigueurs de l'hiver ", lance-t-il, malicieusement. Entré, il y a de nombreuses années, au service de Pawo Rinpotché, un maître pleinement réalisé, Lama Tenpa a voulu, lui aussi, entrer dans le silence des grandes retraites médi-tatives. " Lorsqu'on voit, dit-il, tous les êtres qui errent dans le samsara, en proie à la souffrance, il faut la motivation de vouloir les aider. Et pour pouvoir les aider efficacement, il faut être soi-même un être éveillé. J'ai fait cette retraite selon les instructions de Kalou Rinpotché, mon lama-racine, pour pouvoir avancer sur le Chemin afin d'être capable, un jour, d'oeuvrer pour le bien de tous les êtres et leur permettre d'atteindre l'Eveil. "

Une vie austère

Sa pratique repose sur la compassion et la vacuité, sachant que la vacuité est complètement indifférenciée de la compassion. " Tous les mérites que j'accumule au cours de ma retraite médita-tive, à travers cette pratique-racine, je les dédicace pour le bien de tous les êtres. " Ce moine ermite vit selon un emploi du temps auquel il ne déroge pratiquement jamais. Tous les soirs, il se couche à 22 h 30 et se lève à trois heures du matin pour une pratique de deux heures. Ensuite il se repose un peu. Et de nouveau, les sessions de retraite reprennent alors que le jour n'est pas encore levé pour s'ache-ver avant le repas qui est à 11 h 30 précises. Puis il s'octroie quelques moments de détente en faisant quelques pas dans le jardin contigu à la maisonnette. A 13 h 30, reprise de la méditation jusqu'à 16 h 30 suivie des pratiques quotidiennes. Le dîner, à 17 h 30, est un repas frugal composé généralement, en hiver, d'une soupe et d'un fromage blanc ou, en été, d'un plat de légumes frais et un fromage blanc. Ensuite la méditation reprend jusqu'à 22 h 30. Et les jours s'écoulent ainsi, paisiblement, selon un rythme que Lama Tenpa s'est volontairement imposé pour poursuivre ses pratiques méditatives, loin des tumultes de la vie citadine. Il y a bien sûr une radio dans son petit ermitage. " Je ne l'écoute pas, dit-il, car je ne comprend pas le français. Quant à la télévision, je n'en ai pas et m'en passe très bien. "

Régulièrement informé par une nonne qui vit dans son entourage,Lama Tenpa s'intéresse aux événements du monde, car, dit-il, " cela me sert de support de pratique ". S'il y a, par exemple, un tremblement de terre, alors Lama Tenpa pratique un ' rituel pour les victimes décédées. Même chose pour les attentats, les guerres, les famines. Autant dire, qu'il a du travail !

Lorsqu'on a vécu pendant une dizaine d'années en autarcie et que l'on redécouvre le monde, on s'aperçoit que la technologie a évolué et que beaucoup de choses ont changé. Mais cela ne semble pas trop affecter Lama Tenpa qui a sans doute expérimenté les lois de l'impermanence : " Je prie et je médite beaucoup.

Lorsqu'il m'arrive de sortir, ma perception du monde extérieur est un peu émous-sée, mais je suis quand même dans un certain état d'équanimité. " Le développement d'internet, la conquête spatiale, les technologies nouvelles, et même la pollution sonore, tout cela ne le perturbe pas : " Le monde se développe maté-riellement, c'est très bien si, conjointement la voie spiri-tuelle suit le même développement. " Le monde, ajoute-t-il est une apparence de notre esprit. C'est une apparence karmique qui vient de notre karma, du karma que l'on a de naître dans ce monde. Si nous pratiquons les actes vertueux, si le karma devient positif et bon à ce moment là les apparences qui s'élèveront seront des apparences bonnes. Si, en revanche, des actes négatifs sont accumulés, le karma négatif s'accumule égale-ment et l'apparence kar-mique de notre monde dans lequel nous évoluons change aussi.

" L'important, c'est l'acte positif... "


L'œil de Lama Tenpa est vif et reflète une malicieuse intelligence. Aurait-il développé au cours de ses longues années de retraite spirituelle la clairvision ? Même si c'était le cas, il ne le dirait sûrement pas. " Je n'ai pas de clairvoyance, dit-il et je n'ai pas cette capacité. Mais je puis vous dire que j'ai une confiance, une certitude dans la loi du karma. Si des actes positifs sont pratiqués, le monde ira bien. Mais si le monde est dominé par des émotions et des actes négatifs, le monde, obligatoirement, évoluera dans la souffrance. La pratique du don, de l'amour ou de l'éthique, sont des actes bienfaisants qui vont engendrer un karma positif, non seulement pour soi-même, mais aussi pour notre monde et l'ensemble des êtres qui y vivent. Il y a beaucoup de pratiques spiri-tuelles non bouddhiques qui sont destinées, elles aussi, à aider les êtres et c'est une bonne chose, si on arrive à les maintenir dans un état de pureté d'intentions. " Lama Tenpa, ne reçoit que très peu de visites, mais lors des ses rares enseignements donnés dans des centres bouddhistes, il a pu ainsi mesurer l'engouement que portent les Occidentaux pour le Dharma. Mais l'appliquent-ils correctement dans leur vie quotidienne ?

" Notre monde est ainsi fait, dit Lama Tenpa : il y a des êtres aux capacités supérieures, moyennes et infé-rieures. Tout dépend de l'opacité mentale et de la motivation. Il y a beaucoup de pratiquants du Dharma dans le monde, et certains ont développé les qualités requises pour bien pratiquer. Mais généralement les pratiquants se trouvent confron-tés à un monde d'émotions perturbatrices. Les personnes complètement soumises aux émotions font de la négativité. Le monde se développe matériellement et il y a des progrès significa-tifs, mais ce qui est vraiment important, c'est de s'améliorer intérieurement. Si on développe l'amour et la compassion, qui sont des courants spirituels authentiques, on peut placer l'hu-manité dans des courants positifs et on peut alors s'attendre à de nouveaux modèles de société, fondé sur l'harmonie entre les êtres et son environnement.

N'est pas bouddhiste qui veut. La notion d'altruisme, par exemple, n'est pas suffisante. Lorsqu'on voit, dit Lama Tenpa, des personnes impliquées dans les actions humanitaire là où les êtres souffrent et qui consacrent leur vie à soulager la souffrance physique, la détresse et la misère, ces personnes, qu'elles soient médecins, agronomes, ingénieurs, etc. sont dans un courant d'énergie positive. Mais elles interviennent sur des manifestations karmiques limitées à une seule existence. Dans le Dharma, on va beaucoup plus loin. Le bodhisattva donne de l'aide pour toutes les vies à venir. Cela va très loin, depuis l'instant présent jusqu'à la libération future, c'est à dire lorsque les êtres seront devenus des bouddhas.

Lama Tenpa est entré à nouveau en retraite. Jusqu'à la fin de ses jours ?

" Le Bouddha, dit-il en riant, a du accumuler trois kalpas de karma positifs avant de devenir un bouddha ! Alors vous comprenez que moi aussi j'ai du travail..." Lorsqu'il contemple parfois les étoiles avant de se coucher Lama Tenpa a parfois le sentiment que, sur d'autres planètes d'autres êtres sensibles évoluent dans d'autres mondes. Et de rappeler que le Bouddha a dit que tous les êtres, aussi nombreux soient-ils, remplissent l'espace. " Oui, bien entendu, ajoute-t-il, d'autres êtres existent, mais ils se trouvent dans des dimensions karmiques où leur manifestation, n'est pas matériellement préhensible par nos sens ordinaires. On ne peut pas les voir, mais il y a sûrement des êtres. Je n'ai pas l'espace d'une seconde de doute à ce sujet. C'est la loi du karma. Il y a des scientifiques qui, maintenant tombent presque d'accord sur la durée d'un kalpa énoncée par le Bouddha. D'autres scientifiques, experts en physique, accréditent la thèse d'une dynamique dans le vide, expliquant ainsi la notion de vacuité prônée par le bouddhisme, état de pure énergie précédant la manifestation organisée de la matière. J'en fait l'expérience à l'intérieur de moi-même lorsque je médite. "

o Jean-Pierre Chambraud


 

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