Sur la voie de Kalachakra

Ce mois-ci, mon choix s'est porté sur l'interview de Sofia Stril-Rever concernant Kalachakra.

Alors que le Dalaï Lama s'apprê-te à donner l'initiation de Kalachakra en Inde, à la fin du mois, Sofia Stril-Rever explique comment et pourquoi elle a tra-duit les enseignements fonda-mentaux qui nous font entrer sur la voie de Kalachakra. (1)

 

Sofia Stril-Rever, comment avez-vous rencontré le Kalachakra, le Tantra, les instructeurs, Sa Sainteté le Dalaï Lama ?

Ce serait une erreur de décrire ma rencontre avec Kalachakra comme un projet, une recherche volontaire. Car il y a eu toute une part non voulue, non préméditée dans ce qui est arrivé. Même si j'ai fait beaucoup d'efforts, de déplacements, comme ce voyage à l'Université de Rome où, pour la première fois, j'ai entendu parler de l'édition sanskrite du Tantra de Kalachakra, à l'université bouddhiste de Sarnath. C'est Raniero Gnoli, grand orientaliste, collectionneur d'œuvres d'art et de manuscrits tibétains, qui m'en a parlé. Selon lui, le texte sanskrit n'était pas linguistiquement inabordable, mais n'avait jamais été traduit en langue occidentale parce que le sens des mots était difficile à établir. Cela ne m'a pas découragée. Je suis allée à Sarnath, j'y ai rencontré un pandit spécialiste des tantras bouddhistes, l'érudit indien Kameshvar Nath Mishra, et Samdhong Rinpotché, alors directeur de cet institut où pandits indiens et géshés tibétains travaillent ensemble à éditer les textes bouddhistes en langue sanskrite. Quelques mois plus tard, je suis retournée à Sarnath pour travailler avec le pandit indien et un géshé désigné par Samdhong Rinpotché. Puis j'ai demandé à Samdhong Rinpotché quel maître de Kalachakra pouvait me guider pour tra-duire et surtout pour pratiquer. Car il me paraissait impensable de ne pas associer la traduction du Tantra à la pratique de Kalachakra. L'assistant de Samdhong Rinpotché a téléphoné à un maître dont je n'avais jamais entendu le nom auparavant, qui a promis de me donner tous les jours des enseignements et de me réserver une chambre dans son monastère à Dharamsala. C'est ainsi que j'ai rencontré mon maître de Kalachakra, sans connaître ses qualités immenses, lui qui a passé 17 années de retraite solitaire et qui est le détenteur de la tradition ésotérique du Tantra de Kalachakra et de son commentaire par le Ile roi Kalkin de Shambhala. Dans tout cela, même si ma détermination et ma volonté sont intervenues, je me suis sentie portée par quelque chose de beaucoup plus grand que moi. Kalachakra me dépasse, nous dépasse. Ce texte est infiniment plus intelligent que nous, c'est la parole du Bouddha dans son dharmakaya. Les Tibétains parlent du vent du karma qui nous pousse là où nous devons aller. Je me suis sentie portée par le vent du karma aux pieds de mon maître et de Sa Sainteté le Dalaï Lama. Tout ce qui est juste, vrai, bon ou profond dans mon travail vient d'eux. M'effacer autant que possible devant ce qu'ils m'ont prodigué m'a paru la meilleure voie. J'aurais voulu devenir transparente pour me remplir totalement de leur enseignement et être ensuite capable de le restituer. Et c'est pareil pour la traduction, on s'efface pour laisser parler le texte. A un moment, je n'ai presque plus dormi et quand je dormais, j'entendais, je voyais encore les mots du Tantra. Il y a un moment dans la traduction d'un texte ou l'esprit le porte en lui, c'est alors que l'on en touche le sens. Ce moment a été très

dur, je me suis sentie à la limite de la résistance psychique parce que le Tantra est très fort, très pur.

Y a-t-il une relation opérant entre votre vie d'érudite et de chercheuse et votre existence personnelle ?

Je n'ai plus une existence personnelle, Kalachakra a fait basculer ma vie. Je n'ai pas pour autant abandonné mes responsabilités, notamment familiales. Mais les choses ont été hiérarchisées autour de la pratique et de l'étude qui sont devenues une offrande quotidienne à mes maîtres. Je ne dirais pas que sur le plan de la santé ou de la vitalité, je me porte mieux. Au contraire, j'ai connu des périodes de grande tension intérieure qui ont entraîné des troubles physiques. Ce sont des obstacles inévitables sur une voie bien vaste.

Pourquoi et comment s'effectue votre enseignement dans les séminaires que vous consa-crez au Kalachakra ?

Je ne donne pas un enseignement, réservons ce terme aux maîtres spirituels. Il s'agit plutôt d'un partage d'expérience et de pratique dans le cadre de rencontres, un terme que je préfère à celui de séminaires, qui ont lieu à Paris, au centre Kalachakra, où nous espérons recevoir bientôt de grands maîtres de Kalachakra. Que faire d'autre dans les années qui me restent à vivre que de partager le trésor des enseignements que j'ai reçus et auxquels j'ai accédé en traduisant des textes qui n'ont jamais été traduits dans nos langues ? Les rencontres que je coordonne sont une préparation aux enseignements et à l'initiation. Je m'efforce de retrouver les portes et les chemins par où je suis passée pour indiquer la voie, l'itinéraire. Il est d'usage qu'avant les initiations de Kalachakra des disciples pratiquants expliquent ce qui peut nous aider à entrer sur la voie de Kalachakra. L'étude et la pratique de Kalachakra ne sont pas l'affaire de cette vie seulement et ce que nous commençons aujourd'hui fait mûrir notre karma et dépose en nous des germes pour les vies à venir. C'est important pour moi de travailler avec d'autres dans cette durée qui transcende l'existence samsarique, avec l'autorisation de mes maîtres bien sûr et leur encouragement.

Y a-t-il une logique dans la publication des deux premiers textes ? Pourquoi cet ordre de publication ?

Le premier texte est le Kalachakra interne, publié sous le titre « Tantra de Kalachakra, le Livre du corps subtil ». La description du corps subtil nous donne la base du travail que nous avons à faire pour purifier notre corps samsarique. Et le deuxième texte, « L'Initiation de Kalachakra pour la paix dans le monde », expose le processus de l'initiation, l'intégralité du rituel et les dif férentes pratiques de purifications. L'initiation, comme la pratique, visent à transformer en bouddha le non-bouddha que nous sommes. C'est un grand chantier de plusieurs vies.

Quelle influence peut avoir le Kalachakra transmis par le Dalaï Lama pour la paix mondiale ?

Le Tantra de Kalachakra a cette particularité d'être lié à l'histoire, la communauté et la société, comme l'a fait ressortir Chôgyam Trungpa édité au Seuil, (Shambhala, la voie sacrée du guerrier) (2) 1990. Chaque initiation est donnée par le Dalaï Lama pour la paix dans le monde et dans la pratique de Kalachakra, nous faisons l'expérience du lien universel avec tous les êtres, toutes les formes de vie. C'est par le vécu et l'approfondissement de ce lien que Kalachakra fait avancer la paix.


• Interview : Vincent Bardet

(1) Sofia Stril-Rever a traduit Tantra de Kalachakra, le Livre du corps subtil, Préface de Sa Sainteté le Dalaï Lama, texte intégral tra-duit du sanskrit, DDE 2000 ; Kalachakra, Préface de Sa Sainteté le Dalaï-Lama, texte et iconographie des moines de Namgyal, Tibet Domani 2000 ; et L'Initiation de Kalachakra pour la Paix dans le monde, texte intégral du rituel et enseignement de Sa Sainteté le Dalaï-Lama, DDB 2001

(2) Vincent Bardet est directeur de la collection Point Sagesses au Seuil. Il a traduit et édité au Seuil plusieurs ouvrages de Chôgyam Trungpa.

Centre Kalachakra, 5 passage Delessert, 75010 Paris tel 01 40 05 02 22


 

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