Mais l'intention de libérer les êtres de la souffrance n'est pas suffisante en elle-même, encore faut-il la mettre en pratique. Si l'on veut réellement libérer les êtres du cycle des existences, il est nécessaire d'être soi-même libéré de la souffrance. Tenter de libérer les autres de la souffrance sans s'être soi-même affranchi du cycle des existences n'apporte pas vraiment un grand bienfait aux êtres. Il importe d'abord de se libérer de sa propre souffrance et de toute forme d'action négative. On cesse donc d'employer son corps, sa parole et son esprit à des actions négatives, pour constamment rechercher l'accomplissement d'actions bénéfiques. Et on tente d'influencer les autres dans le même sens, en développant différents moyens pour les aider à rencontrer des situations où ils pourront cultiver la vertu qui sera la cause de leur bonheur futur, et à éviter les actions négatives qui ne peuvent leur apporter que souffrance. En utilisant toute notre énergie en ce sens, on réussira à libérer les autres de la souffrance. Telle est la pratique de la compassion. Cette bienveillance doit être étendue à tous les êtres vivants quels qu'ils soient, sans aucune exception et de manière totalement équanime. Il ne faut pas garder à l'esprit de préférence ou d'aversion ni penser que nous devons montrer de la bienveillance envers nos amis ou notre famille, tout en rejetant ceux qui sont nos ennemis ou que nous n'aimons pas, et en ignorant complètement ceux que nous ne connaissons pas. Partout où il y a de l'espace vit une infinité d'êtres et notre intention doit être de développer une activité bénéfique envers tous ces êtres où qu'ils soient, quels qu'ils soient. L'esprit de bienveillance parfaitement équanime du boddhisattva se distingue d'un simple état sentimental ou d'un état d'esprit humain ordinaire. Tous les êtres possèdent une certaine forme d'amour et de compassion, mais elle est dirigée vers ceux qu'ils aiment et avec qui existe une connexion proche. Même les animaux sauvages comme les tigres éprouvent de l'amour et de la compassion pour leurs petits ; poussés par ce type d'amour et de compassion ils chassent, se battent et tuent d'autres êtres pour protéger et nourrir leur progéniture. Ceci n'est qu'un sentiment mondain et partial, sans rapport avec l'amour et la compassion authentiques du bodhisattva. En cultivant un état d'esprit de bonté, toutes les actions, influencées vertueusement, auront un résultat éminemment positif. Si l'on souhaite progresser sur le sentier de l'illumination, il faut d'abord s'établir dans ce pur état d'esprit de bonté fondamentale. "Pur état d'esprit" signifie qu'on ne laisse pas apparaître dans son esprit de pensées agressives ou nuisibles envers autrui, et qu'on développe constamment dans le courant de son être le souhait de développer des activités bénéfiques. Si l'on rencontre des obstacles dans les efforts déployés pour aider autrui, si des difficultés s'élèvent, un sentiment d'amertume ou de déception peut se développer, créant dans l'esprit un état de frustration. Il s'agit alors de comprendre que l'on fait au mieux avec les capacités du moment, et de souhaiter pouvoir agir plus tard avec des moyens plus vastes qui nous permettront vraiment de venir en aide aux êtres que l'on ne peut pas aider pour le moment. Quelles que soient nos actions, il est nécessaire de développer un effort d'introspection et de considérer notre propre état d'esprit. Ce n'est pas si facile. L'esprit est extrêmement difficile à cerner, car très proche de nous. Si nous en étions physiquement séparés, il serait plus facile de le voir. Notre faculté de perception est tournée exclusivement vers l'extérieur et engendre une attitude naturelle qui nous incline à observer, critiquer et juger le monde et les êtres extérieurs. En fait, il est beaucoup plus difficile de se considérer soi-même et de voir les pensées qui vont et viennent, puisque nous n'avons pas de regard physique dirigé vers l'intérieur de nous-mêmes. Il est très important de développer la faculté de vision intérieure, l'aptitude à voir clairement l'esprit et il faut le faire graduellement. Tant que nous ne parvenons pas à voir clairement notre esprit, nous demeurons totalement ignorants de notre véritable état d'esprit. Nous pouvons nous croire pétri de qualités, avoir une motivation en apparence complètement altruiste et penser que nous agissons toujours pour le bienfait des autres ; mais lorsque que nous .percevons des fautes et des négativités, c'est chez les autres que nous les voyons car notre attention se concentre sur l'activité d'autrui. Nous apercevons ainsi de nombreuses imperfections chez les autres, considérant que telle personne agit de manière incorrecte, que telle autre a une mauvaise motivation et qu'un tel a un comportement erroné. Nous développons une attitude critique envers les autres, ce qui fait naître en nous la colère, la jalousie et l'irritation contre ces personnes. Un état d'esprit ainsi perturbé par les émotions conflictuelles est la source de difficultés et nous plonge dans une souffrance constamment entretenue. L'esprit se trouve sous l'emprise des cinq poisons mentaux que sont l'orgueil, la jalousie, l'attachement, l'ignorance et la colère, et sur la base de production de ces cinq types d'émotions conflictuelles, nous projetons sur autrui notre état d'esprit perturbé et développons une vision des autres teintée par notre état émotionnel : nous les percevons remplis d'émotions, d'orgueil, de jalousie et de colère. Cette attitude d'esprit nous apporte beaucoup de souffrance, dans la mesure où elle perturbe constamment l'esprit et y crée un karma très négatif. Ceci est dû fondamentalement à l'impossibilité de voir nos attitudes et au fait que nous ne procédons pas à un examen attentif de notre état d'esprit. La capacité d'observer son propre esprit est ce qu'on appelle l'oil de sagesse : c'est la faculté de nous examiner et de reconnaître comment nos états d'esprit négatifs sont projetés sur les événements et les êtres extérieurs. Le développement de l'oil de sagesse permet de comprendre que toutes les fautes perçues chez autrui sont le reflet de nos propres négativités. Dans la mesure où, jusqu'à maintenant, nous nous considérions comme quelqu'un de très bien, lorsque nous prenons conscience que toutes les négativités remarquées chez les autres sont le reflet de nos propres émotions conflictuelles, l'orgueil se trouve pacifié. Quand l'orgueil décroît, les autres types d'émotions s'apaisent, ce qui a pour effet de laisser place à un état de calme et de stabilité de l'esprit, calme parce qu'on aura apaisé les émotions conflictuelles qui perturbent l'esprit et stabilité parce qu'on sera capable de demeurer dans l'état de quiétude. Si l'on remarque en soi beaucoup de qualités, c'est le signe que l'esprit est sous l'influence de nombreuses fautes et négativités, car ces qualités que l'on pense détenir trahissent simplement la présence de l'orgueil. Par contre, si nous percevons beaucoup de fautes dans notre esprit, c'est le signe d'une bonne qualité de base, car nous cultivons ainsi la capacité de nous en libérer et de les purifier. On peut comparer cela à une personne qui, bien qu'ayant de la saleté sur le visage, se promène fièrement dans la rue, inconsciente de cette saleté qui la recouvre. Ce n'est que grâce à un miroir qu'elle peut constater que son visage est sale et ainsi le nettoyer. Si nous restons inconscients de nos négativités, il est absolument impossible de nous en débarrasser. Par contre, en en prenant conscience, nous développons l'intention et la capacité de les dissiper: dès lors devenir un Bouddha est possible, car un Bouddha est un être qui a totalement dissipé toute forme de faute, de voile ou de négativité, alors que l'esprit d'un être ordinaire demeure entaché de fautes et de négativités. Il est nécessaire d'entraîner son esprit afin que cela devienne automatique. En tous temps et toutes circonstances, chaque fois que s'élève une pensée ou une intention pure, il faut immédiatement l'offrir au bénéfice d'autrui ; au contraire, chaque fois que l'on rencontre des négativités, il faut les prendre sur soi. En se conformant à une telle attitude, on agit comme un bodhisattva qui pratique l'échange de soi et d'autrui. Cet échange, qui consiste à tourner vers autrui tous les avantages dont on bénéficie et à accepter pour soi-même les pertes et les difficultés auxquelles on est confronté, est contraire à nos tendances habituelles. Cette attitude plante en nous la graine de l'esprit illuminé: tous les êtres sensibles deviennent la racine du développement de la bodhicitta, qui permettra d'épanouir les feuilles et les fleurs de la réalisation du dharmakaya. Il ne fait aucun doute qu'à travers une telle attitude on expérimente un jour le résultat ultime.
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